Françoise Zannier - Docteur en Psychologie - Psychologue Psychothérapeute Coach Superviseur - Paris 12 - Gare de Lyon - Té l. 09 81 62 89 40 - contact@psychologue--paris.fr
Les savants
croient se libérer de la philosophie en l'ignorant ou en la vitupérant ...Ils ne
sont pas moins sous le joug de la philosophie, et la plupart du temps, hélas, de
la plus mauvaise.
Ceux qui vitupèrent le plus la philosophie sont
précisément esclaves des restes vulgarisés des pires doctrines philosophiques
. Engels (F.) (9, p.211), Dialectique de la nature, Editions Sociales, 1975.
Accueil psychologue--paris.fr -> Textes pour le Coaching et la Psychothérapie -> Remarques méthodologiques sur le rapport INSERM 2004
Le rapport INSERM de 2004 est une expertise sur
l'évaluation des psychothérapies qui s'inscrit dans la démarche
quantitative-expérimentale.
Le choix méthodologique s'est porté sur une
synthèse de la littérature internationale, constituée de meta-analyses et
d'études contrôlées, relevant de cette démarche.
Pour les auteurs de ce
rapport, la seule approche scientifique authentique est explicitement l'approche
quantitative-expérimentale (études reproductibles, réfutabilité et testabilité ,
sont les maitres-mots de cette approche)
[1].
Ce
point de vue recèle un choix épistémologique fondamental, notamment car en
sciences, le réalisme s'oppose à
l'instrumentalisme, et le
positivisme au constructivisme.
Se référant à
Karl Popper,
les auteurs expliquent que " la testabilité implique une méthodologie
susceptible de démontrer qu'une hypothèse ou une théorie est vraie ou
fausse...."
[2]. Cette conception réaliste considère
que les hypothèses et les théories sont des représentations vraies ou fausses
de ce qu'il y a dans le monde.
Elle s'oppose en cela à
l'instrumentalisme, position selon laquelle les théories scientifiques sont de
simples outils explicatifs et prédictifs,
dénués en eux-mêmes de toute
valeur de vérité.
[3]
Sur ce même point, une
erreur apparait dans le rapport, car pour Popper (comme pour les plus purs
positivistes héritiers d'Auguste Comte), une hypothèse n'est jamais vérifiée
mais seulement corroborée... c'est pourquoi il avait choisi le critère négatif
de la réfutabilité, non celui de la vérification, comme critère de démarcation
entre science et non-science, optant ainsi clairement pour un réalisme affaibli,
au sens o๠dans le meilleur des cas, les résultats sont considérés comme
"allant dans le sens" des hypothèses, ceci jusqu'à
ce qu'ils soient
réfutés.
En outre, un postulat central du positivisme (concomitant du
réalisme) sur lequel s'appuient les sciences expérimentales, réside dans la
prétention d'expliquer et prédire les phénomènes, à
partir des principes
des sciences naturelles ou physiques, dans lesquelles les critères quantitatifs
sont essentiels. Il s'oppose en cela au constructivisme.
Le
constructivisme conteste la revendication positiviste d'atteindre une
connaissance générale fondamentale et objective du monde grâce à
la
méthode des sciences naturelles. Il affirme que la connaissance est toujours
déterminée en partie par le contexte culturel et subjectif du sujet connaissant.
Tout phénomène ne doit-il pas déjà
être une entité construite pour
accéder au statut scientifique ? Si ce doute est fondé, on peut se demander si
la conviction selon laquelle la science est suspendue à
des observables,
n'est pas ce qui empêche de reconnaitre ce qui se passe réellement dans le
travail de connaissance à
l'oeuvre dans la science
.
[4]
Pour le dire autrement, un certain nombre d'hypothèses auxiliaires
[5] interviennent dans les études prises en compte, qui peuvent être
formulées de la maniè re suivante :
1) Les résultats des psychothérapies
découpés en "variables", c'est-à
-dire en autant d'"objets" qui écrasent les
significations auxquelles ils renvoient (L. Althusser), sont susceptibles de
nous renseigner sur la valeur des (catégories de) psychothérapies mises en
œuvre.
A cet égard, une question essentielle dans les sciences humaines est
de savoir et de justifier,
comment à
partir de significations, on peut
former des "objets".
En effet, un comportement humain détaché de sa fonction
signifiante cesse d'être humain
[6] ...
2) Ces
variables ("objets") sont mesurables et les mesures appliquées sont valides.
Ceci pose le problème des catégories statiques utilisées, qui expulsent le
sujet de sa dynamique subjective, et de leur mesurabilité purement
conventionnelle, nous rappelant crument les propos de Bergson :
La
conscience et la vie sont d'une qualité autre que tous les phénomènes de la
nature. Il sont hétérogènes au domaine du quantitatif, du mesurable, c'est
pourquoi aucune loi de mathématique ne pourra jamais rendre compte de nos
émotions ni du développement du vivant
.
Plus prosaïquement, on retiendra
que dans les sciences humaines, les mesures ne sont pas isomorphes aux axiomes
de la géométrie, elles ont seulement une valeur sémantique de déchiffrage (R.
Boudon), d'où leur faible validité
3) les catégories de psychothérapies
sont homogènes, assimilables à
des instruments "standardisés"
indépendants des acteurs, donc de l'intersubjectivité en jeu dans ces situations
et notamment des paramètres non contrôlés des situations (l'état d'esprit de
l'évaluateur peut être une source de variation, ses définitions des items qu'il
a à
évaluer, les questions n'entrant pas dans le protocole d'évaluation,
la qualité de la relation thérapeutique qui n'a rien ou peu à
voir avec
ses aspects techniques, etc...).
Cette liste d'hypothèses n'étant pas
exhaustive, on peut en trouver d'autres...La question précédente revient donc
sous d'autres formes :
Comment une catégorie de psychothérapie, et
partant une école de pensée, peut-elle être jugée ou considérée comme "un objet"
évaluable ou mesurable, à
partir d'une approche se voulant objectivante de
situations au plus haut point intersubjectives
?
Comment à
partir de résultats apparaissant dans les conditions évoquées, peut-on inférer
causalement une évaluation de la théorie correspondante ?
Par quel "tour de
passepasse" les conventions de départ (on fait "comme si" on pouvait isoler et
mesurer la variable ou l'objet "anxiété " par exemple...) sont-elles oubliées en
cours de route (E. Zarifian) pour aboutir à
la prétention selon laquelle
le prototype est la réalité de la réalité (P.
Zachar)....?
Finalement,
malgré toutes les réserves posées par les auteurs au début du rapport, évoquant
notamment la différence entre sciences idiographiques et sciences nomothétiques,
tout se passe également "comme si" la formulation de ces réserves n'était faite
que pour mieux les "oublier" dans la suite du document, et dans les conclusions
des études sur lesquelles il s'aligne.
Les hypothèses auxiliaires
évoquées notamment, ne vont pas du tout de soi comme leur intégration dans le
dispositif le suggère. Ce sont les postulats d'une construction théorique et
d'une méthode, auxquels nul n'est tenu de souscrire.
En tout état de cause,
on voit bien que l' observation n' est pas neutre : elle est "theory laden"
(Hanson). Pour construire une hypothèse, on recourt à
d' autres hypothèses (qu'on en soit conscient ou non).
De même, lorsqu'on teste une hypothèse, ce n'est pas seulement cette hypothèse qu'on teste, mais aussi tout un
arrière-fond scientifique/culturel.
Le choix positiviste inhérent au
rapport INSERM, relève donc bel et bien d'une position épistémologique qui fait
partie des présupposés de la conceptualisation et de la méthodologie en
découlant. Il ne s'agit pas d'une position scientifique en soi, mais d'une
position philosophique sous-jacente à
la méthode utilisée.
Cette
position ou plutôt ce choix, n'est ni le seul possible, ni le seul
représentatif de "la Science"... on devrait d'ailleurs toujours parler "des
sciences".
C'est donc par erreur que dans le rapport INSERM, ce choix est présenté comme le seul choix scientifique possible.
L'évaluation des psychothérapies (à
grande échelle ou non) par des procédés mathématiques
et statistiques, pose ainsi de sérieux problèmes, dont en outre celui du seuil
de validité statistique et du passage de la vision macro à
la vision
micro, les psychothérapies ne mettant souvent en jeu que deux personnes (un
patient et un thérapeute) ou un petit groupe de personnes... c'est la raison
pour pour laquelle en clinique, on parle de science du singulier.
Quoi
d'étonnant donc, à
ce que de tels procédés présentent des difficultés dans
le domaine de la subjectivité, et notamment à
ce que des lois portant sur
des grands nombres n'y soient pas adaptées ? (Combien d'études quantitatives
comportent d'ailleurs
suffisamment de sujets pour que leur validité
statistique interne soit irréfutable ?).
De plus, le problème en son
fond est-il de comparer les principales écoles de psychothérapie ou bien de
mettre au travail leurs éléments actifs de manière synergique le cas échéant,
comme cela se fait soit de manière séparée, soit dans les psychothérapies
éclectiques-intégratives notamment ?
En tout état de cause, contrairement
à
ce qui est la règle dans d'autres domaines, les politiques de santé des
pouvoirs publics
ne peuvent compter
beaucoup sur des études
quantitatives comme auxiliaires de décisions, pour autant qu'elles veuillent
bien prendre en compte les explications précédentes, et par conséquent,
la
complexité des enjeux en question.
Il convient en effet pour le moins, de
rapporter les choses à
leurs différents contextes (social, politique,
philosophique, idéologique, institutionnel, scientifique,...) et de relativiser
les résultats en fonction de cela...
Enfin, toutes proportions gardées,
il est nécessaire de voir ou au moins d'entrevoir en quoi les choix retenus
occultent une grande partie des réalités qu'ils sont censés décrire et des faits
qu'ils ambitionnent d'évaluer quantitativement, si ce n'est la plus importante
...
[1] Rapport Inserm, Editions
Inserm, 2004, p.12
[2] ibid., p.12
[3] S. Chauvier, Réalisme scientifique et réalisme des universaux,
Université de Caen, Association des Professeurs de Philosophie de l'Enseignement
public(appep.net
<-clic)
[4] P. Ricoeur, Ontologie,
Encyclopédie Universalis 2004.
[5] cf l'hypothèse
Duhesme-Quine, selon laquelle :
"tout résultat expérimental dépend de la
vérité ou de la fausseté de l'hypothèse principale mise à
l'épreuve, mais
aussi de tout un ensemble d'hypothèses auxiliaires qui portent sur la situation
expérimentale, les
appareils, le dispositif
d'observation et de mesure,
etc...", Les conceptions du développement scientifique, B. Matalon, in Cours de
Psychologie, ss la dir. de R. Ghiglione et JF Richard, Dunod, Psycho sup, 1999,
p. 679
[6] Gilles Gaston Granger, Epistémologie,
Encyclopédie Universalis 2004.
[7]
Prouver à tout prix l'efficacité des psychothérapies
(<-clic), Nicolas Duruz. Conférence donnée le 22 octobre 2004 à
Bruxelles, au Département de Psychiatrie de la Faculté de Médecine de
l'Université Catholique de Louvain. Une version de ce texte a été publiée dans
la revue Psychiatrie, Sciences humaines, Neurosciences, 2005, vol. 3, num. 12,
pp. 5-9, sous le titre : évaluer les psychothérapies."