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On assiste depuis plusieurs années à
une montée en puissance des tenants des sciences expérimentales pour lesquels
toute science, pour mériter le nom de science, doit se soumettre aux critères
des sciences naturelles ou physiques et des mathématiques. Les principes de
reproductibilité des expériences et de réfutabilité des hypothèses définis par
Karl Popper, notamment, sont souvent mis en avant pour tenter d'imposer une
vision de la science hégémonique, et in fine irrationnelle. Tout se passe en
effet "comme si" en psychologie notamment, on avait affaire à des
objets (anxiété, optimisme, etc...)(1) ayant des propriétés toujours identiques,
à l'instar des objets de la physique classique (par ex. le fer a
pour formule chimique unique fe), objets dont on peut mesurer objectivement
l'état physique (masse, longueur, largeur, hauteur, etc...) ainsi que ses
variations le cas échéant. En d'autres termes,
depuis qu'
avec des significations on a construit des objets (G.G. Granger)
comptables et mesurables, faisant fi des
rapports entre signifiants et signifiés, la psychologie
expérimentale prend sa revanche sur la psychologie clinique qui l'a pendant
longtemps détrônée, ceci principalement grâce aux apports de la psychanalyse.
Autrement dit, sur fond de
luttes des places et d'intérêts se jouant à tous les
niveaux de la vie sociale et professionnelle (voir les théories du darwinisme
social notamment), les chiffres et les statistiques sont devenus représentatifs
de la connaissance scientifique de manière quasi-exclusive dans les milieux
académiques, ceux-ci confondant délibérément ou non les moyens que se donnent
certaines sciences avec "
La Science
" elle-même, érigée en idole ou en totem, en quelque sorte.
Quoi
de plus simple et évident en effet - en apparence tout au moins - que de compter
ou mesurer "tout et n'importe quoi", afin d'évaluer les rapports de valeur entre
les faits ou entre les choses - que celles-ci soient objectives ou subjectives -
ceci quitte à vider la subjectivité de son sens, et à en
faire un objet inerte en quelque sorte ?
Dans ce contexte quasi-abracadabrant, les démarches qualitatives propres aux
sciences humaines, se voient souvent sommées d'adopter des critères quantitatifs
(méthodologies expérimentales et semi-expérimentales), ceci sous peine d'être
disqualifiées et exclues du champ scientifique, rien de moins.
La
dictature du chiffre et des protocoles expérimentaux prétend mettre la qualité
sous contrôle, ceci par
laminage systématique des aspects qualitatifs et singuliers du travail, de son
grain fin, comme si un ouvrage d'artisan ou d'orfèvre pouvait être effectué en
usine, en quelque sorte. Ainsi, dans nos disciplines, des usines du
savoir comme le CNRS et l'INSERM notamment, ont pour credo des études où des
protocoles et des chiffres déshumanisants tiennent lieu de seules et uniques
preuves de scientificité. Le rapport INSERM de 2004 (Psychothérapie - 3
approches évaluées) est exemplaire de cette vision de la science où¹
"au lieu de penser, on préfère compter" : mesurer la souffrance psychique, voilà
ce qui est scientifique et valide pour évaluer les méthodes utilisées.
Tout se passe donc comme si la frontière entre sciences exactes (dures ou
exactes) et sciences humaines (molles ou morales) pouvait et devait être
effacée, la méthodologie expérimentale, comptable et gestionnaire, ayant
envahi puis colonisé le champ de nombreuses UFR de Psychologie, en particulier.
Mesurer le niveau d'anxiété des patients, par exemple, telle est soi-disant la
seule manière de travailler scientifiquement. Construire des échelles contenant
des chiffres ou des graduations : ça c'est du sérieux... et tant pis si c'est le
sens de cette anxiété qui est le plus important, car le sens ça n'intéresse pas
les biologistes et les gestionnaires, ce qui les intéresse, eux, c'est ce qu'on
peut compter. A partir de besoins de quantification exprimés par la
psychopharmacologie, la recherche biologique, les compagnies d'assurance, les
administrations, les économistes, s'est développée la nécessité d'évaluer le
psychisme dans ses diverses composantes comme dans ses traitements (E.
Zarifian), tout ceci jusqu'au point de réduire la Science à cette
nécessité.
Rappelons ici que les
statistiques ont été développées par les Etats pour gérer leurs
ressources. Cela étant, un des effets spectaculaires de leur utilisation
massive est l'
abolition des singularités - autrement dit, vous et moi n'existons plus
que comme appartenant à une catégorie statistique réduite à
des composantes simples et à des moyennes - mais encore la
généralisation de la politique du chiffre au détriment des lettres (du
quantitatif au détriment du qualitatif) tout ceci aboutissant à une
véritable acculturation, autrement dit à un résultat inverse de
celui recherché. Autant dire que c'est une
négation de la psychologie clinique qui se joue là , celle-ci étant
essentiellement une
science du singulier, nous apprenant qu'
un sujet a et est d'abord et avant tout une histoire singulière
précisément, ceci venant en pleine contradiction avec les objets et mesures
évoqués.
Comme le disait fort justement le Professeur Zarifian, en
psychologie,
on a aligné le sentiment d'anxiété sur celui de la fièvre et on a fabriqué le
psychomètre sur le modèle du thermomètre. Autrement dit, on fait
"comme si" on pouvait mesurer l'anxiété, et ensuite on prétend - explicitement
ou implicitement - qu'elle se mesure bien puisque qu'on la mesure, tout cela
sans prendre conscience de la tautologie en question, dont on prétendra par
exemple que ce n'est pas le sujet du problème (sic).
On en arrive ainsi à prendre les conventions et les modèles pour la
réalité, et enfin les mesures pour ce qu'il est question d'étudier (P.H. Keller).
En d'autres termes, on ne se soucie pas du sens mais de la "quantité" d'anxiété
évaluée à un moment T, afin de la corréler à un dosage
médicamenteux, notamment par exemple. De même, on ne se soucie pas des
variations entre les évaluateurs et chez chacun d'entre eux, générant
d'inévitables variations dans les évaluations - mais là encore on
fait "comme si" une objectivité ou une neutralité était possible.
Les
liens étroits et nombreux entre psychopathologie et psychiatrie, sont la
principale raison pour laquelle les méthodes quantitatives de la recherche
médicale sur les médicaments ont envahi le champ de la psychologie clinique,
ceci alors même que la psychopathologie est loin d'être une discipline
exclusivement médicale, comme le montrent toutes les théories psychologiques, y
compris la psychanalyse.
La distinction entre pathologies mentales (ayant des causes organiques
identifiées) et pathologies psychiques (sans causes organiques identifiées) en
particulier, est souvent loin d'être connue et reconnue par tous.
L'intérêt et le fantasme des laboratoires pharmaceutiques, notamment, est de
croire et de faire croire que des molécules chimiques peuvent guérir l'anxiété
pour reprendre notre exemple. Autrement dit,
avec l'idéologie scientiste de "la panne dans le moteur" (E. Roudinesco), si
vous ê tes anxieux, c'est qu'il y a un dysfonctionnement quelque part dans votre
cerveau.
On laisse croire ainsi que les causes de tous les
problèmes psychologiques s'expliquent par la biologie, et que par conséquent, la
clé de ces problèmes est de cette nature. L'invention de la "psychologie
médicale" n'est pas banale de ce point de vue, de tels néologismes aggravant les
confusions existantes, au lieu d'apporter des clarifications. De là
aussi la croyance dans les "pilules-miracles", les surprescriptions et la
surconsommation qui s'en suivent, mais aussi souvent, la nécessité de
discréditer par tous les moyens les autres approches ou modèles explicatifs de
l'anxiété.
Or en vérité, si certaines pilules diminuent ou calment
l'anxiété, en gommant ses symptômes, elles ne règlent très souvent en rien les
causes psychologiques intérieures et extérieures de celle-ci. En d'autres
termes, qu'on le veuille ou non et qu'on le sache ou non,
"la réalité psychique est une forme d'existence particulière qu'il ne faut pas
confondre avec la réalité matérielle" (S Freud). Plus concrètement,
quand un individu a des
croyances fausses ou inappropriées, par exemple, ce ne sont pas des
pilules qui peuvent régler ce problème - pas plus que la relaxation, le yoga ou
d'autres techniques psychocorporelles. De même, quand un individu a des
mécanismes de défense inadaptés (clivage, déni, projection, etc...), ce
ne sont pas non plus des produits chimiques ou des approches corporelles, qui
peuvent les faire disparaitre, ou leur substituer des mécanismes appropriés.
De même encore, quand un individu vit dans un
environnement social stressant, dénigrant ou aliénant (qu'il s'agisse de
la famille, l'école ou l'entreprise notamment), aucune pilule ni aucune méthode
n'agissant que sur lui ne peut régler le problème lié au contexte dans lequel il
vit - et on peut seulement l'aider à le supporter, à le
modifier ou à en changer, dans la mesure du possible. C'est
pourquoi des interventions psychologiques individuelles et de groupe existent,
dans lesquelles on fait appel à la systémique, la psychanalyse,
l'ethnopsychanalyse, et/ou la psychologie cognitive suivant les cas.
Tout
cela étant,
les attaques féroces portées contre la psychanalyse en particulier, tous ces
derniers temps, sont symptomatiques des rapports de forces évoqués au sein des
milieux scientifiques et des disciplines entre elles, quand il ne s'agit pas de
simples moyens utilisés par certains afin d'attirer l'attention en faisant
sensation, exactement comme dans la "presse people" où tout est bon pour
se faire remarquer et pour vendre, y compris des moyens consistant à
exciter les instincts humains primaires voire barbares (pulsions épistémologique
et scopique, agressivité, pulsion de mort, etc...).
Ainsi, s'en prendre à
Freud comme à tout autre personnage célèbre, est devenu un
"platane", et surtout un filon de choix pour des auteurs avides de notoriété,
sans scrupules et peu enclins à faire dans les nuances, mais voulant
avant tout faire un scoop. De nombreux auteurs s'en prennent en effet à
cette science et à Freud en particulier avec un acharnement et un
aveuglement invraisemblables.
Comme si la Psychanalyse se résumait à Freud, et comme si tous ceux
pour qui Freud est une référence importante étaient des imbéciles n'ayant rien
compris à la psychologie. Pour leur répondre, rappelons
donc ici les propos de Jacques Lacan :
"La psychanalyse est un remède contre l'ignorance, elle est sans effet sur la
connerie".
On voit en effet des philosophes et autres "consultants
de tout poil", attaquer violemment tel ou tel fait, tel ou tel propos de Freud,
aux seules fins de discréditer la Psychanalyse, ou de participer à
l'entreprise de destruction celle-ci, tout cela sans se rendre compte que jeter
le bébé avec l'eau du bain n'a jamais constitué une solution à des
problèmes qui pour réels qu'ils soient parfois, ne doivent pas servir de
prétexte à condamner la psychanalyse irrévocablement et sans
discernement, comme c'est invariablement le cas dans l'entreprise en question.
Les raisonnements en tout ou rien de cette entreprise de destruction, ont en
effet ceci d'insupportable que
sont méconnus, rejetés ou disqualifiés d'emblée ou en même temps, tous les
apports de la Psychanalyse, qui n'est pas seulement l'œuvre de Freud,
soulignons-le, mais encore et surtout un paradigme scientifique, celui du
psychisme pour ne pas le nommer, et aussi une institution, au travers des
nombreuses sociétés psychanalytiques et des innombrables professionnels et
particuliers se référant à cette science, que cela plaise ou non à
ses nombreux adversaires et détracteurs.
La confusion fréquemment
effectuée entre les théories psychanalytiques et certaines pratiques
psychanalytiques, notamment, en dit long sur le niveau de discussion où se
situent souvent "les pourfendeurs de la Psychanalyse".
Enfin, au delà
de cette méconnaissance, l'illusion grandiose de faire apparaitre la
psychanalyse comme une imposture est un fantasme de personnes sans réelle
qualification ni honnêteté intellectuelle, qui ne connaissent souvent que très
mal la psychanalyse et la psychologie, bref les sciences humaines et les
sciences tout court, ou n'en retiennent que ce qui sert leur objectif irréfléchi
et insensé de destruction.
Françoise Zannier
Notes : (1) on mesure votre
"niveau" d'anxiété, stress, etc..., toutes choses réduites à des
aspects quantitatifs, comme s'il s'agissait d'états physiques observables.
Références :
- Les cécités de la connaissance : l'erreur et l'illusion
- Edgar Morin
- Nous assistons à une escalade de l'obscurantisme
- Entretien avec Pierre Legendre
- L'anti-livre noir de la psychanalyse Jacques Alain
Miller et autres auteurs
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