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Disons le tout de suite, au risque de décevoir les optimistes
adeptes de la "psychologie positive" en particulier, on
n'éradiquera jamais le négatif, le mal, la souffrance et la mort, auxquels se
rattachent les extrémismes, notamment. En effet, les déviances font partie de la nature humaine,
c'est-à-dire de son potentiel de réalisation dans ce qu'il a de négatif et
pathologique, en l'occurrence.
A contrario, ceci explique l'importance des
normes, de la rationalité et de la justice
en particulier, comme principe de concorde et d'harmonie, ou encore comme vertu
cardinale engendrant toutes les autres (Platon). Car en effet au delà du
sentiment d'horreur inspiré par les actes de terrorisme, c'est celui d'une
profonde injustice qui domine. Injustice vis à vis des victimes et de
l'humanité toute entière, victime des égarements de la Raison.
C'est
rappeler ici que la
structure psychique est une structure de croyances, au sens où l'humain a besoin
de règles pour fixer sa conduite, et du coup, une
structure éthique et morale, la réflexion sur les valeurs du Bien et du Mal, du
Juste et de l'Injuste, etc... étant consubstantielle de cette structure. En
effet, tout au long de sa vie, l'être humain se
réfère - consciemment ou non - à des valeurs modelant ses comportements.
Intentionnellement et de fait, il observe des lignes directrices dans la plupart
de ses actes, la
réflexivité de la conscience permettant à tout moment d'apprécier le sens et la
valeur, c-à-d le bien-fondé, l'opportunité etc..., de ceux-ci. Ainsi, le discernement de ce qui vaut ou non est une capacité
essentielle se développant dès le plus jeune âge, à partir de la satisfaction
des besoins notamment, et aussi des récompenses, gratifications, etc...
reçues ou non de l'entourage ou de la réalité extérieure. Inversement, les frustrations, sanctions ou
privations de toute nature, forgent aussi la capacité de discrimination
déterminant les comportements.
Pour cette
même raison, à défaut de règles et de valeurs fiables, ou lorsque celles-ci ne sont pas clairement
posées, ou encore quand elles sont inversées pour des raisons à déterminer,
la perversité et le sadisme en particulier - autrement dit des comportement
asociaux - peuvent se manifester à différents degrés chez
certains individus.
Il s'agit d'une jouissance procurée par la souffrance infligée à d'autres
êtres vivants, de manière illégitime au sens où rien ne la justifie
rationnellement, c'est-à-dire en vertu des lois écrites ou non écrites de la
société.
Autrement dit, il s'agit d'actes condamnés par l'institution judiciaire très souvent
et par la conscience morale en premier lieu.
Précisons qu'il ne s'agit pas d'une
agressivité parfois logique et compréhensible, pouvant survenir de manière
défensive notamment. Cette agressivité-là peut être normale ou légitime, au sens
où l'on doit être capable de se défendre si l'on est attaqué, notamment. Pour cette raison, lors d'un conflit, les notions d'attaque et de défense sont très importantes pour
différencier les mobiles des protagonistes. En outre, la notion de légitime défense
est reconnue juridiquement, ceci signifiant bien que toute agressivité n'est pas
forcément condamnable, et que tout dépend des circonstances et de la nature
exacte des faits.
En outre, la notion de passage à l'acte est une
limite et un marqueur essentiel pour déterminer les responsabilités respectives
des protagonistes. Autrement dit, on ne saurait juger une agressivité latente
- un regard par exemple - de la même manière qu'une agressivité actée.
Plus généralement, on sait que les pathologies
psychiques renvoient la plupart du temps à des critères d'intensité et de
récurrence des faits incriminés, toutes les tendances pathologiques existant
chez les individus normaux à des degrés moindres que chez les personnes
atteintes. C'est rappeler ici qu'entre le normal et le pathologique, il n'y a
pas le fossé que l'on croit (Freud). Quoi qu'il en soit, les perversions morales sont
des modalités d'être au monde dont témoignent crûment les
injustices et les souffrances subies par leurs victimes.
Concernant les agresseurs, précisons que si les personnalités perverses-narcissiques sont connues en
psychopathologie, et si les criminels se rangent souvent dans cette catégorie,
de nombreuses exactions relèvent d'une responsabilité collective, sociale donc,
au sens où elles ne sont pas ou peu réprimées, quand elles ne sont pas
approuvées, voire
encouragées.
Ceci explique que des théories comme le Darwinisme
social, par exemple, trouvent à se développer sur la base d'une prétendue sélection naturelle,
alors que la domination de certains groupes sociaux ne traduit pas une une
adaptation au monde extérieur, mais une loi du plus fort au sens culturel,
c'est-à-dire économique et financier en particulier. En d'autres termes, si "l'homme est un loup pour l'homme"
dans le langage populaire, cette analogie est limitée car à la différence
des animaux, l'homme n'agit pas principalement selon des instincts programmés et
des langages rudimentaires, mais surtout en fonction de
règles et de valeurs culturelles s'articulant entièrement dans son langage. En
d'autres termes, rappeler que psychisme et culture
sont co-émergents (G. Devereux), c'est signifier que les inégalités sociales sont
très éloignées des inégalités naturelles (même si celles-ci exploitent souvent
celles-là), et c'est indiquer pourquoi la notion d'inégalités naturelles est
très insuffisante pour expliquer les disparités intergroupales et
interindividuelles chez les humains.
De surcroit, on observe souvent que les animaux d'une
même espèce ne s'attaquent pas entre eux, sauf dans des cas très précis, afin d'établir des rapports de
dominance et de hiérarchie, pour l'accès à la nourriture et à la reproduction en
particulier. De même, les animaux d'une même espèce ne se parasitent pas
entre eux, comme c'est parfois le cas
dans les rapports d'exploitation des humains par leurs semblables, lesquels sont
parfois très inéquitables, voire délétères. Autrement dit, les rapports de
coexistence et de coopération existant
dans les espèces animales sont bien plus simples et naturels que
chez les humains. Tout cela explique un paradoxe spécifiquement humain
faisant que les Droits de l'Homme en général, ceux des Femmes et des
Enfants en particulier, doivent encore beaucoup progresser dans le monde, si l'on veut faire
en sorte que la civilisation
soit bien l'antonyme de la barbarie, et non pas un vain mot ou
un idéal inatteignable.
Quoi qu'il en soit, plus généralement, on
dira que tout est inclus dans le tout. Le négatif est la
contrepartie du positif, incontournablement. L'un ne s'explique toujours en
effet que par rapport à l'autre. Les
réalités sont scindées dans les catégories du Bien et du Mal, du Bon et du
Mauvais, du Juste et de l'Injuste, du plaisir et de la souffrance, etc... cette condition
vitale pour l'humain se reflétant
dans la bipartition du logos. C'est encore dire ici qu'il est vain et
irrationnel de vouloir abolir le négatif, comme le suggère la psychologie
positive en particulier.
On voit mieux en outre l'importance d'une réflexion éthique, pour
expliquer ce qui est de l'ordre du Mal absolu, en
référence aux faits évoqués et à la terminologie correspondante.
En d'autres termes, force est de constater l'imperfection du psychisme en particulier, expliquant
sa tendance à viser une maitrise
toujours plus grande, au travers d'idéaux et de valeurs variables suivant les peuples, les individus, les régions du monde et les époques.
Tout cela rappelle aussi que le sujet se constitue à
partir d'un manque fondant son désir, lequel emprunte diverses voies pour le compenser. Autrement dit, tout désir étant un désir de pouvoir, il contient des ressorts d'agressivité
liés aux frustrations infligées par le principe de réalité, toutes choses à quoi la
loi s'oppose quand elle est constituée, ceci n'étant pas le cas
dans les perversions morales fondant très souvent le terrorisme. Comme on
le sait, en effet, le pervers met son désir à la place de la loi qui est déniée.
Les pulsions ne rencontrant alors aucun obstacle, elles s'expriment librement et
transgressent l'interdit du meurtre du père, en l'occurrence. Cette analyse
issue de la pensée freudienne,
montre la pertinence de celle-ci pour saisir les
réalités en question, en quoi il ne saurait être question d'une simple vue de
l'esprit.
Autrement dit, parmi les
vicissitudes de l'espèce humaine, le terrorisme est bien un cas de Mal absolu, quoi qu'en
pensent les adeptes
d'Epictète ou de la parabole du verre à moitié plein (vs à moitié vide), pour le dire trivialement.
Les symboles s'exprimant dans les mots ne sont pas de
simples visions du monde, interchangeables à souhait, mais bien des représentations de réalités
concrètes, heureuses ou malheureuses, agréables ou douloureuses, essentiellement.
Autrement dit, dans la mesure où la souffrance existe objectivement, on ne
peut pas affirmer que tout n'est qu'une façon de voir les choses, et par suite,
on ne peut que rejeter le solipsisme. C'est aussi pourquoi
rien ne remplace l'expérience vécue bien souvent, pour comprendre qu'on ne peut pas tout relativiser, ni positiver.
L'inscription corporelle des souffrances et des émotions négatives est
une mémoire qu'on peut modifier ou alléger mais non pas abolir en particulier, quelle que soit
la méthode utilisée. Mais fermons cette parenthèse.
Comme on le sait, l'idéologie islamiste radicale s'enracine dans des traditions et croyances salafistes, et
surtout dans une conception du pouvoir intriqué avec la religion.
De ce fait, des croyances religieuses explicatives du monde sont
instrumentalisées par des groupes extrémistes, afin d'être imposées partout dans le monde.
Ainsi, la non-séparation de la Religion et de l'Etat -
i.e. du politique - engendre des velléités hégémoniques sur la base
d'interprétations perverses des textes religieux, tenant lieu de dogmes pour des
criminels assoiffés de pouvoir et de vengeance essentiellement.
Par suite, les groupes extrémistes commettent des attentats étant à la fois des démonstrations de force,
des procédés de déstabilisation et d'intimidation, et enfin surtout l'expression
d'une haine que rien ne semble arrêter. Au contraire, ces groupes pratiquent
la surenchère dans l'horreur, n'importent quels moyens étant utilisés, y compris
la récupération d'individus perturbés pour diverses raisons, et prêts à basculer
dans les abominations en question.
Autant dire que la soif absolue de pouvoir
et de domination en question est quasi-délirante,
psychotique par conséquent. Ce type de
pouvoir à la fois arbitraire, autocratique et sanguinaire, n'est soumis à aucune loi autre que la sienne, celle d'un désir
mortifère à l'état brut. Tout se passe comme si la haine envahissait l'espace
psychique d'individus persuadés d'agir pour une cause légitime, et acceptant de
perdre leur vie dans les massacres.
On voit ici que la problématique du pouvoir est toujours identique, en particulier quand on a affaire à la toute-puissance originaire, précédant la distinction du soi et de l'Autre. En effet,
lors de leurs exactions, ces individus régressent à un stade archaïque où prédominent la fusion avec le tout et l'incapacité de voir les limites au delà desquelles leurs comportements deviennent criminels
et dangereux pour eux-mêmes. Il y a un renversement du sens des choses - le
négatif devenant positif - en même temps qu'un effacement de toute alternative,
celle-ci étant projetée dans l'au-delà de la vie sur la base de croyances
religieuses.
La guerre menée par l'Etat Islamique apparait d'autant plus comme une lutte sans fin pour un pouvoir absolu donc illimité. La haine de l'autre
et de toute différence est consubstantielle à ce type de pouvoir sans partage, incapable d'accepter ou
de tolérer d'autres pouvoirs, comme toute altérité en général.
Au-delà de tout cela, on remarquera que l'Etat Islamique se nourrit des
imperfections et méfaits des principaux blocs de pouvoir, particulièrement de celui
des pays occidentaux. En effet, l'impérialisme islamique répond
d'une certaine manière à l'impérialisme occidental venant le renforcer.
En effet, tout le monde ou presque reconnait que l'EI s'est considérablement développé
depuis la guerre menée en Irak par les pays occidentaux, ceci avec Georges Bush
aux commandes, et contre l'avis de l'ONU.
Plus généralement, pour assurer son
expansion, l'EI s'appuie sur les dévoiements de la démocratie pour enrôler ceux à qui
la perversion de celle-ci dans les formes du libéralisme notamment, ne laisse pas ou peu de chances,
que ce soit en détruisant leurs rêves ou en anéantissant leurs efforts pour les réaliser.
Les jeunes Français se ralliant aux idéologies extrémistes sont en effet souvent des personnes meurtries par la vie et le sort leur étant réservé,
de sorte que pour eux, les valeurs républicaines de Liberté, Egalité et Fraternité, n'ont aucun sens ou l'ont perdu, à supposer qu'elles en aient eu un dans le passé. Ceci explique en partie que lors des attentats commis, ces jeunes ne font pas tant preuve de sang froid que d'une insensibilité acquise à la souffrance des autres,
celle-ci étant en grande partie une réponse à l'insensibilité sociale perçue à
leurs propres souffrances, à l'indifférence dont ils sont victimes quand ils
n'en subissent pas de plein fouet les conséquences.
En outre, jouir de la souffrance des autres témoigne d'un retournement de la pulsion dans son contraire,
une jouissance mortifère survenant en compensation d'une jouissance normale rendue impossible, l'amour du prochain en l'occurrence.
Suivant les cas, le sentiment d'être incompris, non écoutés et/ou trahis, déclenche la haine, en réponse à l'indifférence, à l'absence d'amour et à la haine ressentie. L'absence d'amour et la haine sont
en effet équivalents psychiquement.
En tout état de cause, les jeunes exclus, marginalisés, précaires, etc... étant particulièrement vulnérables,
ils sont
concernés par toutes les formes et risques de délinquance, et
in fine de perversion, dont fait partie la radicalisation islamique. En
outre, depuis de
nombreuses années, les jeunes des classes moyennes sont aussi touchés parce que
l'ascenseur social ne fonctionne plus, parce que la crise aboutit au chômage de
masse, à la stagnation des salaires, à la régression des droits sociaux, à une
lutte des places souvent sans merci, à la précarisation de personnes toujours
plus nombreuses, etc... tout ceci s'apparentant bien à l'Horreur économique
décrite par Viviane Forrester notamment.
De ce point vue,
l'appartenance à la classe moyenne n'est pas un garde-fou contre les extrémismes. Tout
dépend des personnalités des acteurs mais aussi très souvent de circonstances ou
de conditions extérieures dont
ils ne décident pas mais qu'ils subissent. Dans le cas de ceux devenant des kamikazes, la vie elle-même perd
toute valeur, celle des autres comme la leur. Seul compte le message
symbolique véhiculé par leurs actes, mis au service d'une idéologie
barbare : ce message crie haine et vengeance. Point final pour eux.
Le
bonheur des autres peut en effet devenir insupportable à ceux n'y ayant pas
droit - de manière réelle ou supposée - comme c'est souvent le cas en France et
ailleurs dans le monde. D'où le choix de lieux festifs parfois, pour accomplir
des représailles, tout en signifiant la haine et la réprobation inspirées
par ces lieux, comme cela s'est produit le 13 Novembre. La haine engendre la haine et la guerre engendre la guerre, indéfiniment...
En d'autres termes, c'est la loi du Talion qui s'exprime essentiellement chez
ces jeunes, le désir de vengeance primant sur toute
autre considération. Pour cette même raison, ils sont les proies faciles
des extrémismes qui récupèrent leurs pulsions inassouvies et les canalisent au
service de leurs propres objectifs, en se présentant à eux comme les seules
issues possibles ou souhaitables, et de surcroit "divinisées". Précisons qu'il s'agit ici de comprendre
et d'expliquer les mécanismes intimes des exactions en question, sans prétendre à
l'exhaustivité et sans
aucunement chercher à les excuser. Il ne s'agit pas non plus de condamner le
système occidental et le libéralisme en particulier, mais de pointer ses excès
et ses travers, afin de les corriger autant que possible.
Car en effet, pour les radicalismes, l'impérialisme occidental
et tout ce qui le représente, sont les
bouc-émissaires désignés, en même temps que les persécuteurs et les ennemis extérieurs,
ceci détournant les consciences des ennemis intérieurs, l'Etat Islamique et les
radicalisés
étant leurs propres ennemis à l'évidence, pour un observateur
extérieur. En d'autres termes,
tout se passe comme si pour conjurer la peste, les jeunes en question choisissaient le choléra
s'offrant à eux comme alternative à un moment donné, leur donnant
l'occasion de changer le sens de leur vie ou de la
vie en général, dans ce qu'il a de plus
inacceptable. Ces projections masquent ainsi les
pires abominations, en regard des valeurs universellement reconnues, tout en acculant la communauté internationale à réagir.
Tout cela amène à répéter qu'on ne vaincra pas des extrémismes se présentant
autant comme des symptômes de nos propres carences et difficultés, que de celles
des individus concernés. Tout ce qu'on peut
espérer c'est les limiter en les combattant, bien sûr, mais aussi et surtout en travaillant sur nos propres défauts
et insuffisances, afin de ne pas alimenter et in fine aggraver ceux de la
partie adverse.
A cet égard, on ne saurait trop rappeler l'importance des
responsabilités politiques et des choix de société en cours, et notamment des
actions en faveur d'une plus grande justice sociale. Pour finir, on
remarquera que paradoxalement, l'exigence d'amélioration et de progrès de l'espèce humaine trouve
souvent dans les pires tragédies, ses meilleurs
ou en tout cas, ses plus solides fondements.
Françoise Zannier
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